mercredi 30 septembre 2015

Elle m'appelle Arsène





Il y a longtemps qu'Elle m'appelle Arsène. Cela date du temps où j'étais vagabond et mal en point.
Je passais devant chez Elle, il y avait un joli jardin tout vert avec plein de coins pour se cacher et plein de chats déjà cachés.





Icare

Blizzard

Nestor


J'étais juste de passage, chaque jour, un peu craintif, un peu mal à l'aise, très affamé et très blessé.
Je suis devenu Arsène chat des rues.
Je n'avais jamais eu de nom, ni de famille, ni de maison. Ni même l'oreille cassée.




Je suis arrivé là au gré de mes pérégrinations de chat batailleur. En cherchant des femelles j'ai surtout trouvé des mâles  et cela peut faire très mal.
Elle me donnait à manger, mais je ne voulais rien de plus, surtout pas qu'Elle me touche.
Tout le monde regardait ma nuque en sang, avec des trous gros comme ça, et puis ça séchait un peu, alors ça grattait, et tout recommençait.

Pas bien guéri encore



Je voyais bien que ça la contrariait, mais aucun humain ne m'avait approché : jamais.

Un jour j'ai changé de rue, de maison, de restaurant.



Un peu plus bas j'ai trouvé une autre maison avec des fleurs aussi, une grande cour, et plein de chats. Encore plus. Un homme vivait là, Il m'a hébergé dans sa cour ou son garage, m'a nourri et puis je suis tombé malade, très malade. Il y avait très très longtemps que je saignais, plus d'un an  et je me suis couché dans un lit de paille, sous l'escalier, en attendant...Je n'avais plus de force  pour vivre. Alors Lui m'a donné à manger , de la bonne viande rouge, tout le temps, pour me guérir.
Je peux dire qu'Il m'a sauvé la peau.



Ce qu'il y avait de bizarre c'est que lorsqu'Il s'en allait quelques jours, c'était Elle qui venait s'occuper de tous les chats et de moi aussi. Elle venait me voir sous l'escalier et Elle me parlait.

Depuis, le temps a passé. ma nuque a guéri.















J'ai bien changé : je suis resté dans sa maison à Lui, allant même dans sa cuisine  mais jamais , parole de chat, Il ne m'a touché. Pourtant j'ai confiance. Mais bon...

Puis il m'est venu une idée : puisque ces deux se connaissent et que chacun s'occupe des chats de l'autre pendant leur absence, pourquoi ne voyagerais je pas entre les deux maisons, je me suis dit.
Comme ça je mangerais double ! Et c'est ce que je fais. Ils ne me refusent rien, Ils ont pourtant compris. Je suis donc presque devenu un chat gras, les bagarres ne m'intéressent plus, les femelles non plus, je préfère MANGER !
Et je mange !



Là c'est guéri


Je fais la navette entre les deux maisons, cela me fait l'exercice physique pour ne pas être obèse, tous les autres chats des deux maisons me respectent (en tout une bonne vingtaine qu'ils disent) et comme je reconnais le bruit de leurs voitures et de leurs tracteurs je ne loupe jamais un goûter ou une miette à gratter ! Il me suffit de prendre mes pattes à mon cou, de courir, C'est mon sport favori.

Je suis malin, hein ?


Chez Elle je n'entre pas encore, mais j'étudie les lieux ...




Cela devrait se faire...bientôt...





Et vous savez quoi ??? L'autre jour Elle a osé poser sa main sur moi !!! Grrr !
 C'est très bizarre...
Et je n'en suis pas mort ???

Comme c'est bizarre....



mercredi 23 septembre 2015

La vie , la montagne et moi

1951





Quand je suis née, au beau milieu de XX ème siècle, je n'ai pas reçu en héritage dans ma corbeille de nouvelle née la vocation de la montagne.


De ma mère j'ai reçu le goût des mots, de la lecture et de l'écriture, mais pas celui de l'obéissance, voire de la soumission , je veux dire du conformisme.
De mon père j'ai reçu le goût de l'action, du bricolage, de la terre et de l'hyperactivité. De la fantaisie sans doute aussi.
1949

J'ai été une petite fille très vivante, et toujours en mouvement. Il paraît que j'avais un goût très prononcé pour la liberté.
Le sourire, déjà...1954 ? 1955? 
L'adolescente a grandi dans cette même veine, bonne élève sans le goût de l'effort, très active, rebelle, garçon manqué. Très sportive.
La montagne n'était pas au rendez vous : j'étais une cycliste assidue.
Mon premier vélo - une routière- fut  payé avec mes premières vendanges, je courais les routes, même la nuit, sans éclairage, au retour de prison : l'école. Me défouler, évacuer le trop plein d'énergie emmagasiné en captivité : en classe.

Je n'étais pas un cancre, loin de là. L'école en plein air m'eut conduite très loin.

En guise d'"autopunition" je choisis de passer ma vie en captivité : je fus enseignante.

Et la montagne ?
30 ans : 1980

J'avais une trentaine d'années, un mari et un enfant, la vie m'avait rangée dans la norme, une norme qui m'allait. J'y étais bien car c'était une vie vivante avec un mari aussi actif et vivant que moi.
Des voyages, des travaux dans les vignes, de belles années derrière moi et à venir.

Dans mon village un groupe randonnait beaucoup et un jour il nous fut donné de les accompagner. Pour une première fois, ce fut riche : partir 2 jours avec le "barda", plus de 1200m de dénivelé, vers un décor sublime : les lacs de Carança. une révélation!

Image septembre 2014: lacs de Carança

Pour mon mari une impossibilité à recommencer pour des raisons d'effroyables crampes musculaires.
Pour moi un appel vers ce grand large aérien.
Je me rangeai à "la majorité conjugale" et ne remis pas les pieds à la montagne. je n'ai aucune photo de cette randonnée, curieusement.
Plus de 10 ans plus tard, je partis, un soir de grande solitude et de canicule, vers ce Canigou qui domine la plaine . Quelques affaires embarquées dans la 2cv, 70 km de route difficile dont 22 de mauvaise piste et j'ai ma nuit sous les étoiles, dans la 2cv bivouac.

La 2 CV au Canigou 1993


Et un lever de soleil sur la mer....



Mon premier contact en solo avec la montagne, capote ouverte sur les étoiles, c'est ce 21 août 1993, j'ai 43 ans. Dès lors je sais ce que signifie ce slogan lu plus tard "La montagne ça me gagne".
Mais je ne pratiquai pas pour autant la montagne.

le Pic du Canigou, face est 1993


Je fis deux ou trois escapades supplémentaires qui me ravirent , cependant je restai dans le rang de la vie.

Un jour, la vie a de ces  détours qui vous jouent des tours et je me retrouvai simultanément en retraite et en solo. En vrac, en pièces détachées (pas par la retraite) et au fond d'un gouffre.
C'était vivre ou survivre, c'était sombrer ou rebondir.

Mon choix fut vite fait et je filai bon train en cet août 2006 vers les montagnes d' Ariège, département voisin, département de coeur. Pour m'enfouir dans la vallée la plus "paumée " sur la carte.


Ariège : le Soulcem 2006



Mon destin se joua là...
J'avais 56 ans, il y avait du monde partout , c'était un lieu mythique de randonnées...

2006 : 56 ans

Une page s'ouvrait, du nouveau livre de ma nouvelle vie, et j'ouvris grand ce livre que je n'ai pas refermé.

Eté 2006 : premiers pas

Et que je n'entends pas refermer de sitôt.
Ce jour d'août, ravagée par les douleurs d'une hernie discale, je suis simplement la piste sur une longue distance, pour voir...Ce que je peux espérer . Et je commence cette longue route qui m'a menée jusqu'à aujourd'hui, demain et j'espère après demain.



Au début, je fis des parcours modestes : 500m de dénivelé était un exploit, sentir, respirer, goûter la montagne, Juste en été. En solo. Une passion naquit ainsi. De sentiers en découvertes, de lacs en rochers, de pics en vallées, je finis par grimper les 900 m, mon rythme de croisière et marcher 15 km.


Ariège multicolore







Puis je m'enhardis à randonner en automne, les chemins s'étaient vidés, ma première randonnée sans rencontrer âme qui vive ne fut pas une épreuve mais un stress quand même.
J'apprivoisai l'hiver, la marche dans la neige, le grand blanc, le silence, le manteau qui couvre toutes les couleurs, les bruits et la vie. Qui étincelle, scintille et resplendit. Qui met le feu au visage et l'onglée aux doigts.

2007

2010

Je quittai l' Ariège pour les montagnes de Catalogne ou de mon département : j'élargis mon champ d'investigations en largeur, en hauteur, en distance et en difficultés.

Sierra del Cadi

La Pedraforca



Je fis des rencontres aussi : animales, certes, mais humaines, de courte ou longue durée, à la journée parfois, enrichissantes, un vrai enseignement.
2009

Car j'appris au fil du temps à lire la montagne: c'est un long apprentissage qui demande attention, intuition, prudence et prise de décision ; on se forge un physique mais aussi un mental. Peu à peu, lentement mais sûrement.
Ariège 2007
La montagne est une belle école où on ne finit jamais d'apprendre, d'étudier. C'est une école d'humilité avant tout.


Je ne me considère pas comme une montagnarde, je suis toujours modeste et en apprentissage.
Cependant cela demande une telle concentration, surtout lorsqu'on est seul, que les soucis et problèmes sont relégués à leur juste place et, pendant la marche, aux oubliettes même. Relativisés.
Voici  10 ans maintenant que j'arpente monts et vallées, les centaines de km sont devenus milliers.
Lison chatte m'a accompagnée pendant de grandes marches : ce fut un grand bonheur de marcher avec cette chatte, une vraie équipe nous faisions. Elle ne vient plus car elle a peur des gens .



En montagne je marche à mon rythme, ni trop lent ni trop rapide, je prends surtout le temps : de voir, de scruter, d'écouter, d'écrire parfois dans  mon cahier qui ne me quitte jamais, dans ma tête énormément. Pendant longtemps j'ai réfléchi, travaillé mon mental, mes douleurs et mes blessures, j'ai parlé à mon père aussi. A présent je me laisse simplement porter par le bonheur.

Les  chaussures, au fil du temps se sont accompagnées de raquettes, puis de crampons et de piolets.
Je me suis lancé - et je me lance toujours - des défis de plus en plus sévères, juste pour me faire plaisir, me prouver que si j'ose je peux . Me construire une confiance en moi que je n'avais jamais eue.
Peut être aussi, avant qu'il ne soit trop tard, rattraper un peu des années perdues...

Je cultive secrètement quelques regrets ...escalade, alpinisme...auxquels les ans ne me donnent plus accès. Enfin presque...Avec mon guide je peux encore tutoyer quelques défis de roche et de glace...

Après tout, je n'ai QUE 65 ans , non ?


2015


Surtout je n'oublie jamais que du jour au lendemain tout peut s'arrêter.



lundi 21 septembre 2015

Le dernier Adieu

Lettre à Camille...

"Un jour de printemps , voilà cinq mois , tu as choisi de mettre fin à ta vie. Tu avais pourtant une belle vie, solitaire, certes, mais tu l'étais depuis toujours et tu n'en souffrais pas; quelques amis de qualité et puis ta passion d'une vie, la montagne dans tous ses états: marches énormes, hiver comme été, botanique, géologie, climatologie. Une richesse. Tu as eu peur de cette faiblesse passagère qui t'a fait entrevoir un sombre avenir et tu as tiré ta révérence pour échapper à ce qui aurait pu  être plus tard... Ou ne pas être...

Quand nous marchions en montagne tu me disais : " Quand je mourrai, je veux être incinéré et mes cendres répandues en montagne". Je ne voulais guère entendre ce discours venant de toi, solide comme un roc et inusable, mais je te l'avais promis. Sans même savoir où tu voulais aller dormir pour l'éternité.


Qui d'autre que moi pouvait aller te conduire dans ton dernier sommeil
vers d'inaccessibles sommets ?

Cet insigne honneur t'a été refusé : une mort violente, selon le Parquet ne peut s'accompagner d'incinération. Alors tu reposes sous terre , pas même dans un caveau. L'idée de la terre est sans doute plus séduisante pour toi que les casiers d'un tombeau.


Mais je me suis promis de t'amener quand même sur un sommet.
A ma façon.
D'une autre manière.

Le Pic Carlit : 2921 m, toit des Pyrénées Orientales

 J'avais choisi pour toi qui reposes en ta terre natale d' Aude, le toit des Pyrénées Orientales, ce Pic Carlit où tu ne pouvais monter pour cause de vertige et de handicap suite au terrible accident de la route dont tu avais réchappé après avoir retraversé le grand tunnel blanc, celui de "la mort imminente" . Curieux récit qui m'avait glacée.
J'attendais septembre pour t'emmener avec moi là haut, au plus près des étoiles, car le Carlit en septembre c'est exceptionnellement beau.


Alors j'ai fait le chemin avec dans mon bagage une photo de toi et un caillou tout blanc et tout poli, issu de la terre creusée pour t'ensevelir. Que j'avais dérobé en te rendant visite.
C'était une journée splendide en ce 20 septembre et j'ai fait le long chemin, assez fatigant il faut l'avouer, pour te conduire tout là haut. 

Montée au Carlit altitude 2600

J'ai pensé à toi, peut être souriais tu de mon idée et me regardais tu de bien plus haut, peiner d'abord sous le vent froid de face, me traîner un peu dans la rude montée et puis trouver mon rythme, abolir fatigue et froid et m'envoler sur cette paroi rocheuse que j'aime tant. Avant d'arriver au but.


Séquence d'escalade qui décourage certains




Et que j'adore


 Je voulais te déposer au pied d'une des 2 croix mais il y avait du monde et je voulais ce dernier Adieu en tête à tête si j'ose dire.

Alors je me suis éloignée, vers l'extrémité de l'éperon rocheux et j'ai déposé sous un rocher ton sourire pour l'éternité. avec ce caillou qui ne ressemble à aucun autre de là haut. Ensuite j'ai construit un petit tertre, personne n'ira te débusquer  ni troubler ton sourire.


Dernier Adieu: photo France Priet

De ton toit de ce monde, tu peux contempler tous ces sommets et tous ces lacs que tu es allé tutoyer dans ta vie de vivant : Le Canigou, les sommets andorrans, la Sierra du Cadi, le Madres, les Péric, la Serra de Maury, le Pedros, la vallée et le Pic d' Eyne et j'en passe, jusqu'au lointain Aneto : un panorama à 360 ° c'est un cadeau du ciel.

lacs des Bouillouses et Canigou au fond



Côté Ariégeois et Etang de Lanoux (66)

Personne ne m'a vue, un repli de terrain m'isolait. Ensuite je suis allée profiter du panorama, je suis restée longtemps j'avais tout mon temps.

Panorama depuis le Carlit : le Tossal Colomer (2668 m) à droite

Au retour, il m'est venu une idée : aller au Tossal Colomer. Ce pic modeste et plat, à 2668 m, c'était ton Carlit à toi car on y va tout en douceur : pas de vertige, ni d'escalade. Je n'aurais jamais eu l'idée d'y aller mais mon pèlerinage eut été incomplet sans cela.

Au sommet du Tossal Colomer, en fond le Carlit





Quel spectacle ! Je comprends que tu aimais ce Tossal qui fait face au Carlit, on peut en voir les éphémères habitants mais surtout, on a un extraordinaire belvédère sur les lacs et les Bouillouses...
Je t'ai parlé un peu car il n'y avait personne pour m'entendre soliloquer .













Etangs de Sobirans, Trebens, del Castellar (de gauche à droite)

En haut du "mur" : vue sur les étangs Llat, Long, Comassa, Sec et Les Bouillouses

Alors à ton tour tu m'as fait un cadeau. Je ne suis pas descendue directement car il y avait un impressionnant mur pour aller aux lacs et seule, je n'ai pas osé. J'ai donc fait demi tour et j'ai découvert avec surprise deux humains qui arrivaient : qu'allaient ils donc faire en ce lieu injustement boudé ? Cependant la surprise fut énorme lorsque l'un d'eux m'appela par mon prénom. Je découvris avec stupeur Ludo, mon jeune ami montagnard que tu ne connaissais pas mais dont je t'avais beaucoup parlé, ton presque voisin d'ailleurs.


 Surprise  et joie réciproques...Je pense que tu avais conduit sa route vers moi ...

Au sommet du Tossal Colomer : Ludo et Quentin

 Il était avec son fils et c'est tous trois que nous avons regagné les Bouillouses, en descendant cet immense et raide "mur" de roche semé de tapis de "raisin d'ours" une plante qui est très agréable à fouler entre nous soit dit. Tu me l'avais présentée un jour.

La descente raide du "mur"
Ludo dans le pierrier : descente du "mur"

Quentin dans le pierrier


















Tapis de raisin d'ours
































Ludo savait quelle serait ma mission un jour au Carlit, il m'a donc demandé si tu étais là haut.





Le "mur" que nous avons descendu : 400m de haut en 700m de chemin

Oui, Camille, tu as passé ta première nuit tout seul tout là haut et tu souris pour l'éternité à ce ciel piqueté de millions d'étoiles comme seuls les déserts et les sommets en sont habillés ; bientôt un grand linceul blanc te recouvrira pour longtemps ce qui au fond, ne te déplaira pas...Adieu, mon ami, Repose en Paix...."



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En chiffres :
Dénivelé 1000 m environ
Distance 16 Km