dimanche 20 juillet 2014

Un canal vers le ciel...

Couloirs de Cambre d' Ase
En Espagne, (Catalogne), on nomme "canal" ce qui, en montagne s'appelle "couloir", c'est à dire ces failles verticales que les alpinistes escaladent l'hiver avec crampons, piolets et cordes.
Voici les couloirs du Cambre d' Ase, en Catalogne française:
Un exercice qui me tenterait fort, mais qui dépasse sans doute mes capacités.

27 avril 2014 : en reconnaissance



Dans la Sierra du cadi, en Catalogne espagnole, il y a de nombreux couloirs, les "canals", qui donnent à cette montagne un cachet particulier.
Deux d'entre eux peuvent être empruntés l'été sans équipement spécial.
J'ai préparé ma rando du jour en allant les examiner de près au printemps.

Comme je savais que ce serait de l'inédit dans mon style de balades , voire du costaud, je me suis préparée mentalement. Et physiquement, il me fallait être au top.
J'ai acheté de très bonnes chaussures et comme je me sentais une pêche d'enfer (préparée au Cambre d' Ase...clic...), que la météo était juste ce jour aussi "pêchue" que moi, j'ai avalé les 3 heures de route et à 20h, j'étais au pied de mon perchoir. Altitude 1500m.
J'eusse souhaité que la nuit ne tombât point pour partir de suite..Mais...
 Bien m'a fallu attendre le matin et à moins de 7 h je prenais le sentier vers mon rêve. Attirant et inquiétant.

En 1 heure je suis rendue à Prat de Cadi, 1830 m, un site merveilleux où tout le monde peut aller sans difficultés : sentier facile et remarquable en sous bois. Prat de Cadi est une immense prairie , toute fleurie, entourée de sapins avec ce panorama là :
Au printemps

En été




27 avril; entrée du canal Ordiguera



Là commence vraiment mon "aventure" : je dois me rendre, 2nde étape, au pied de la muraille, altitude 2150m.

 Un sentier en forêt longe un long fleuve de pierres d'éboulis sous lesquels chantent encore les eaux d'un ruisseau alimenté par les névés des "canals".

J' y étais allée en reconnaissance fin avril en crampons.



La montée est sévère mais je sais que ce n'est rien à côté de ce qui m'attend.
Comme c'est une première pour moi, je me concentre et applique ce que m'a dit Christian qui y est allé: je ne m'arrête pas, je marche lentement et régulièrement.


Donc, me voici à 8 h 45 au pied de la muraille, j'ai marché 2 heures et parcouru un peu plus de
600m de dénivelé : je suis très motivée et anxieuse à la fois : il n'y a pas âme qui vive et un extraordinaire silence que ne troublent que quelques oiseaux qui tournoient entre les murailles. C'est beau...
D'entrée, le dernier sapin passé, c'est un vide vertigineux vers le Prat de Cadi: une beauté à couper le souffle.
Vertige s'abstenir et mieux vaut avoir le pied marin !!!!

Prat de Cadi et le trajet en forêt
Je sais qu'il y a un franchissement rocheux à faire avec les mains et j'attaque un bon morceau de paroi en grimpe.
ça j'aime! je n'ai pas peur et suis assez agile. je pense au retour mais j'évacue, on verra ça plus tard ! En fait je n'ai pas vu le sentier et au retour il n'y aura aucun souci; juste 3 marches à descendre : suis je sotte !

Le couloir vu de près "écrasé" par la photo
Le névé qui m'a posé problème
et dont je vais parler

Imaginez le paysage : un couloir vertical de 450m de dénivelé qui monte vers le ciel bleu profond, deux murailles rocheuses de part et d'autre de plus de 300m de haut, enserrant mon chemin large parfois de quelques mètres ou de quelques dizaines tout au plus, un murmure d'eau coulant des névés seule présence vivante, un parcours technique du bas vers le haut et, festivité future, du haut vers le bas, pas d'autre possibilité de retour. Et toutes les embûches à découvrir.
 Ainsi que mon inquiétude sournoise : saurais je faire ?

Seule présence de vie et de couleur: l'eau qui s'écoule d'un névé



Le sentier est impraticable, trop glissant à mon goût, et je préfère l'épais tapis de rocs plus ou moins gros. Sauf que leur instabilité et la pente à 60 degrés les fait glisser comme des savonnettes et moi avec dans un roulement de pierrailles répercuté par les falaises.
Je suis prête à faire demi tour plus d'une fois mais mon opiniâtreté me guide vers le haut.
Je n'ai jamais rencontré quelque chose d'aussi technique mais je sais que je peux faire et je trouve vite la solution : grimper en m'aidant des mains et en me tenant toujours au plus près des gros rochers bien ancrés dans le sol : ils seront mes freins.
L'avantage du désert humain c'est que personne ne m'enverra des cailloux venus d'en haut.
Je prends grand plaisir à ce défi technique (qui fera sourire les plus jeunes ou les chevronnés) qui allie  bonne condition physique, réflexion, évaluation, prudence, angoisse et ...non le temps n'est pas encore au bonheur.
J'ai trop de concentration et d'inquiétude pour profiter du paysage, et des plaisirs habituels de la rando solo.
En un mot c'est dangereux. En un mot j'ai très peur et je me répète sans cesse que jamais plus je ne referai seule un truc pareil.
Je ne regarde jamais vers le haut, ni vers le bas, ni même les murailles.
Je ne regarde que mes pieds et les roches que j'évalue!
Ah je pourrais faire un descriptif de toute la rocaille du sol : les blanches, les rousses, celles qui ont des inclusions, celles qui sont émaillées de cristaux intérieurs ou extérieurs et j'en passe !!! Les portantes, les glissantes, les solides, les fantasques, les traîtresses, celles qui n'ont qu'une envie, vous envoyer valser .Ce que je ferai 2 fois à la descente, sans mal.

Ci dessous: aspect du "canal" omniprésence
 de la roche et Prat du Cadi en bas.                                         Ici, franchissements en rochers



Cependant, le pire aura été ma rencontre avec le névé, très tôt dans la montée. Certes il y en a quelques uns mais j'ai eu la bonne idée pour m'alléger d'ôter les crampons de mon sac, me disant que je pourrais toujours passer à côté.
Sauf que là où il se trouve, l'empêcheur, il est bien bloqué entre deux murailles (cf photo) : il est long ( 30m environ), épais, sale, très pentu et heureusement sa surface est bosselée de petites cuvettes et non glacée.
J'envisage le demi tour, je fais quelques essais, j'évite les bords friables qui m'expédieraient dans des trous et en souhaitant que sa charpente soit solide, je me lance. Les bâtons raccourcis servent d'inutiles piolets juste bons à me rassurer et assurer un fragile équilibre (deux gros tournevis auraient été plus efficaces) et avec mes belles chaussures neuves, je taille de petites marches qui m'amènent en haut sans encombre. Je stresse pour la descente, là aussi mais on verra plus tard.
Un mini névé



Ce n'est pas ce mini névé que j'ai contourné mais la surface est comme ça, toute ridée.



Par chance les couloir est très ombragé; j'avais chargé le sac en eau, moi qui ne bois presque jamais. je bois presque pour l'alléger! Non il était léger mon sac, en fait.
Quant à la nourriture, je ne mange presque pas en montagne !J'ai une façon bizarre de me nourrir mais c'est une autre histoire....



J'arrive en haut où les parois s'ouvrent et se dessine déjà l'aspect  du "monde d'en haut"

 Je marche toujours dans ces tapis roulants de cailloux qui n'ont qu'une envie, me faire reculer...et qui y arrivent, ces sales bêtes.
Soudain, alors que j'attaque à main nues la dernière corniche avant le ciel, une voix m'interpelle.
Cela me paraît si incongru et je suis si concentrée que je ne comprends rien : un homme en tee shirt jaune me parle, comme un extraterrestre.
Je débouche stupéfaite sur ce pour quoi je suis venue : un paysage à couper le souffle.

Le débouché du "canal" : il est 10h 38, j'ai mis 1 h 55 pour parcourir les 450m de dénivelé 
C'est le Col de la canal Cristal : 2520 m
le Prat de Cadi, petite tache verte est à 1,6km, 700m en contrebas.




Je viens d'en bas...Mon rêve s'est réalisé...Rêver de ça ! Bizarre, non ?

L'homme consulte ma carte et s'en va; j'espérais qu'il redescendrait par le canal car je n'ai qu'une trouille : redescendre.



Le contraste est saisissant entre la face nord violente et abrupte et la face sud qui descend  lentement et suavement.
Comme si un monstre préhistorique avait tranché d'un coup de mâchoire cette partie de la planète.

Pente douce vers le sud
Un sentier parcourt cette longue crête, j'y viendrai mais par le sud, cette fois, afin de remplir mes yeux 
sans peurs intempestives.

Côté sud

Côté nord
 Sur les crêtes je fais une petite promenade de santé : le débouché du voisin et inaccessible canal de
l' Ordiguera est impressionnant .
Saisissantes aussi les teintes du sol et des roches, une palette de couleurs.


Tiens donc ! La France vue du ciel ?




Je marche au grand soleil jusqu'au pic Cristal 2586 m, d'où la vue porte vers l' Andorre au Nord et La Sierra de Montserrat, près de Barcelone au sud.
Avec un hommage à une toute jeune Carmen de 18 ans morte en 1954.



Angoissée à l'idée de la descente, je ne peux même pas manger et je ne fais pas durer l'histoire, je me lance après avoir réfléchi à la stratégie.
Finalement...la descente sera bien plus aisée..Ce n'est plus une corniche qui m'attend, mais un sentier que je n'ai pas vu (mais on voit mieux d'en haut) et qui facilite bien le départ.


Et puis...c'est un signe: il vient à ma rencontre, s'arrête tout près et me parle : oui, un son sort de son museau en me regardant. Qui est la bonne étoile qui me l'envoie? Ah j'ai ma petite réponse....
Alors la peur me quitte définitivement. C'est moi qui m'éloigne sur mon toboggan de rochers roulants.
Les bâtons très allongés seront d'une grande aide, aussi bien sur la roche que sur le névé.





J'attaque la descente avec prudence, concentration mais sérénité, une heure plus tard je serai en bas.
Surprise de la rapidité.








Enfin des humains ! Je rêve! juste à l'endroit difficile du grand névé, que je descends sans difficulté.
J'explique aux jeunes "touristes" comment le franchir car ils sont novices et n'ont même pas de bâtons. Ils ont la jeunesse...

La photo écrase la pente, il paraît presque plat...



Alors, en bas ???
Et bien un regard sur quelque chose de vivant....
De coloré, de réconfortant. Alors que déjà je me dis : "Je reviendrai. Pour profiter du paysage cette fois !"



Là d'où je viens; orchidée; lavande (à 1700m); couloir d'avalanche


Festin
Festin encore

Miroir, mon beau miroir

Et enfin festin, pour moi. Au restau du village; il est 15 h 30

Le vin servi au "porro"


 Pas belle la vie ? Il me reste pour finir mon périple 3 heures de route.




 En chiffres
Dénivelé : 1086 m
Temps de marche à la montée : 3 h 55'
Temps de marche à la descente : 2 h 35'
Distance totale : 9 km environ







21 commentaires:

  1. Magnifique, et j'adore toujours, les fleurs des montagnes, merci pour ces belles photos, mais alors, que de courage et de risques, pour la récompense de ce paysage,
    bisous Lison
    Laurence

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    1. Dans le couloir, pas une fleur, pas de plantes, la roche à l'état pur; mais en dehors de ça, la montagne est fleurie à cette saison, moins ici qu'ailleurs car c'est aride. faut en profiter quand on les rencontre, ces belles fleurettes. Bisous...

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  2. Avec toi Lison j'ai souffert dans la montée.. mais quel beau spectacle.. tes photos sont éloquentes et font envie de découvrir ce site si beau et si étonnant... j'admire ta fougue et ta persévérance... Bravo et merci. Bisous

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    1. Difficile à découvrir mais il laisse une souvenir envoûtant. Bisous Fanfan

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    2. Merci de ta visite dans ma tanière et pour ton gentil commentaire. Suis allée visiter le blog que tu m'as conseillé. Je ne sais qu'en dire en fait. Je n'ai pas été conquise par la présentation des oeuvres. Perso je retaille les photos afin qu'il y ait une harmonie quand on en pose plusieurs. Ne lisant pas l'italien je n'ai pas pu apprécier ses poèmes. Ceci dit je n'ai visité que le dernier billet et compte bien y retourner. Enfin la publicité qui s'y trouve m'a gênée car elle dénature les pages. Bisous et merci pour le lien
      PS. pour la musique il suffit que tu l'arrêtes (côté droit il y a une vidéo)

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  3. Quel beau reportage !! je t'ai suivie pas à pas... et j'en suis
    exténuée. Tu nous fais des photos magnifiques. Merci à
    toi. As-tu des orages comme chez nous ? un été un peu
    bizarre non ?
    Je t'embrasse. A plus tard. ELZA

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    1. ya de quoi être exténuée !!! non pour l'heure nous avons des orages discrets mais nous, les agriculteurs, nous vivons dans la crainte... je t'embrasse, chère Elza

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  4. Et ben dis donc ..... Chapeau Miss !!!!
    Tu écris "vertige s'abstenir", je serais donc de cette catégorie. Je me contenterai de m'allonger à l'ombre, de piquer un petit roupillon en écoutant les zoziaux !!!
    Merci pour ce partage aussi bien écrit et pour les belles photos.
    J'ai pu poster mon com sur le Mont Ventoux !
    Gros bisous
    Chantaloup

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    1. L'ombre de quoi, ma belle ? dans ces roches blanches écrasées de soleil? Il t'aurait fallu rentrer dans le "canal" pour avoir l'ombre des falaises et...passer outre le vertige.
      Non, plus bas dans la forêt ya la belle ombre et la belle eau. Bisous

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  5. Uau que subida, mas acho que a paisagem compensou. Fiquei olhando as fotos e imaginando o silêncio, eu amo o silêncio.
    Obrigada por compartilhar a sua aventura.
    beijos

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    1. Tal vez gostarias tambem d'uma semejante aventura. Mas sozinha que medo por primeira vez. Outra vez sara muito mas facil...penso. A montanha e sempre bela, até vista do pé. Beijos
      (desculpa mi português no bem seguro...)

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  6. Lison bonsoir j'allais fermer mon ordi mais je passe te voir avant
    bonsoir tes belles photos et le Prat de Cadi que je ne connais que de nom
    C'est beau c'est haut et là tu dois te sentir si bien
    OUI il faut marcher mais la marche c'est agréable
    TU sais je me demande comment font ces animaux pour ne pas tomber
    ils grimpent encore et encore
    et tu sais un jour j'aimerai bien en voir aussi
    GROS BISOU

    NON cet année c'est la deuxième fois que je vais à la mer
    et j'y retourne demain je pense

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  7. Encore une fois, c'est si bien raconté qu'on s'y croirait. Et carrément que parfois ça me fait peur pour toi ! En montagne les efforts sont souvent récompensés par des paysages à couper le souffle. Belle rencontre avec le chamois. Et tu as l’œil pour faire des photos originales (le miroir et la carte de France... j'adore).

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    1. merci pour ton com enthousiaste. Tout le monde dans mon entourage a peur pour moi, beaucoup sans savoir ce que je fais exactement (ma famille) S'ils voyaient où je vais ! ma mère ne vivrait plus !
      J'aime ce dépassement de moi, en fait. et ça fait du bien, je ne connais pas l'ennui. bisous

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  8. J'ai lu ton reportage , le souffle coupé par ta hardiesse et ton courage. Tu étais seule, as-tu pensé que tu pourrais chuter et te blesser , alors ?
    Tes photos sont extraordinaires.
    Les fleurs sont magnifiques , quelle récompense à la descente!
    Tu devrais écrire un livre de tes voyages , c'est passionnant
    Je te souhaite une belle soirée, bises Lison

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  9. Ah oui, la vie est belle, Lison, et lorsqu'on te lit, lorsqu'on regarde tes photos (magnifiques !), on en est encore doublement persuadé ! Merci à toi, l'amoureuse de la vie ! qui sait la croquer à pleines dents, et comme tu as raison ! Gros gros bisous, Lison.

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  10. mais sois prudente tout de même, hein !... :-)

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  11. Coucou ... J'ai cliqué sur l'article ... C'est grandiose ... cette montée te laisserra un souvenir impérissable ... merveilleux !!!!
    Beau dimanche, Bisous et Câlins aux Félins ... Pensée pour lison.

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  12. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  13. Je découvre le blog de la photo de ton fond d'écran, c'était une sacrée sortie dans un décors magnifique. La carte de France m'a fait sourire et penser à la photo que j'ai prise du rocher en montant au Pedros. La France nous sourit. Bises

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    1. c'est là que j'aimerais vous emmener un jour.130 km de la maison mais c'est du beau !! Et on sourit à la France

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