mardi 1 avril 2025

Aude : La Pierrelys entre Diable et Curé

 Me voilà, tout juste rentrée de l'Hérault, invitée à rejoindre le Défilé de Pierrelys, dans l' Aude, un des lieux qui me sont les plus familiers, en compagnie de trois hommes dont Eric, un de mes amis. Je ne connais, pas les deux autres.

Destination les hauteurs du Défilé, soit la pointe des Murailles du Diable. A plus de 950 m d'altitude.

Le Défilé de Pierrelys étant une des gorges de l' Aude, creusée entre deux falaises calcaires, aux environs de Quillan, Aude (11).


les Murailles du Diable

 Par commodité, Manuel nous embarque dans son 4x4, dès le Col de Campérié, sur les pistes direction les forêts des Fanges, de la Comtesse et Forêt Noire. Le temps est maussade, style purée de pois, avec des langues de brume qui estompent les grands arbres longeant la piste détrempée et boueuse. Les forêts sont dévastées, les troncs gisent au sol, tronçonnés, les gros engins sont sur place, la faute en est au changement climatique, Manuel nous explique pourquoi. Il connait cette montagne comme sa poche, chaque arbre, chaque chemin, chaque roc. Les grottes et les avens cachés aussi. Ce sera notre guide pour le belvédère où nous allons.

Nous laissons le 4x4 sur une petite place ronde, en forêt, et on emprunte un sentier sur près de 2 km, au tracé assez rectiligne entre rocs, buis et grands arbres, le panorama est inexistant. De toute façon, la brume rôde. Et le froid humide aussi. Nous sommes à 1000 m d'altitude.




Les buis renaissent, dévorés par un insecte







Point d'eau pour animaux
La pierre est omniprésente. Les mousses aussi.



C'est le sentier

On arrive au belvédère mais, hélas, le point de vue sur la vallée sera très fugace malgré notre perchoir à pic sur un vide de 600 m. 

Plateau de Quirbajou ensoleillé

Par intermittence, on voit la route et le fleuve tout en bas, le plateau de Quirbajou, tout en haut, et des portions de falaise. Non je n'enrichirai pas ma connaissance des falaises, les Murailles du Diable prennent un plaisir diabolique à se dissimuler, quant au Trou du Curé, il n'est pas plus visible que par temps clair, pudiquement caché par les falaises.

Toutefois les vues les plus impressionnantes sont depuis la route et le fleuve, ou depuis le Belvédère du Diable (images ci dessous).


Le site des Murailles du Diable, la route et l' Aude (fl) en bas, depuis le Belvédère du Diable
Notre rando tout en haut (image d'archive)




                                                                 
Trou du Curé et murailles du Diable

                       Mais j'ai le temps de reconnaître ce bord de route où j'ai stoppé tant de fois pour user mes yeux sur les murailles. Je ne vois pas la pente de Belvianes où j'ai tant cherché (et trouvé) le chemin désaffecté voilà près de 2 siècles et demi, mais je vois des pentes invraisemblables hérissées de dentelles, ces mêmes dentelles qui me fascinaient depuis en bas.


Les tours crénelées du Défilé de la Pierrelys


C'est la première fois que je vais en haut, tout là haut, sur cette rive droite et je suis ravie malgré la frustration de voir si peu. Il fait froid, je crois n'avoir jamais été autant vêtue pour une rando. Les lumières et couleurs que veulent bien dévoiler les écharpes de brume sont aussi fugaces qu'élégantes. C'est un bal masqué.

Nous sommes montés pour observer une muraille, non pas verticale mais presque horizontale, celle ci née de l'épierrage d'une vaste zone d'environ 4.5 hectares, cernée de lignes de crête. Ancienne pâture ? Autre ? Système défensif venu de la nuit des  temps?  Ouvrage ancien assurément, recouvert par la forêt. On arpente cette sorte de digue orientée Nord Sud, de près de 170 m et de plusieurs mètres de haut, sur laquelle les chasseurs ont érigé quelques tumulus pour leur activité.


Aspect du mur, très large et qui fut sans doute bien plus haut




Le mur



177 m de longueur

Le mur d'un bout à l'autre





















Vue aérienne

Si les sous bois épais laissent peu de place à la balade, on ne peut en dire autant des crêtes; je ne suis pas seule, donc je me tiens tranquille et ne m'aventure nulle part. Ma propension à me jucher sur le vide inquiète mes partenaires, j'évite de prendre la moindre initiative. Mais j'engrange impressions et émerveillements. 


La vallée de l'Aude et le Défilé


Mes rochers préférés


Manuel m'apprend que les chasseurs ont tracé depuis ce belvédère un sentier descendant sur St Martin, alors j'ai déjà pris contact pour une visite guidée : je ne me hasarderais pas à me jeter seule dans cette pente piégeuse !



Ah si la brume partait, quels points de vue ! Crête sud, à l'aplomb de "la pêcherie" (route) , du tunnel routier et de l'entrée du tunnel ferroviaire



Il se jette dans le vide, ce sentier !




St Martin Lys : et le vide il y est !


Nous allons ensuite nous jucher sur la pointe ouest qui est comme la proue d'un navire, ouvrant sur un vide aussi vertigineux que vertical . 


Nous sommes juste sur ce perchoir (extrémité ouest) que j'ai coloré et la magie va opérer! 


Et là, est ce le Diable qui vient nous accueillir, est ce l'âme du curé bâtisseur de la route, qui nous visite ? Le spectre de Brocken englobe nos silhouettes d'une auréole irisée et lumineuse, alors que les écharpes de brume caressent les aiguilles : c'est un spectacle aussi exceptionnel qu'envoûtant.

La splendeur des murailles auréolées


Spectre de Brocken

Eric n'échappe pas à la fascination

J'ai du mal à m'arracher à ce spectacle dont me gratifia le secteur du Tourmalet il y a quelques années


Une des aiguilles de la Pierrelys

Renaud distribue un pain au chocolat à chacun, un petit déjeuner aussi irréel que bienvenu.

Ensuite je manifeste l'envie d'aller fureter dans la faille toute proche et Renaud me précède : ces failles entre falaises verticales sont typiques de ce Défilé et c'est assez impressionnant de se loger entre ces murs rapprochés, étroit couloir qui plonge brutalement dans le vide, non je ne m'aventure pas et n'en ferais pas davantage si j'étais seule.

Dans la faille : roches grises à l'extérieur et rougeâtres à l'intérieur





La même faille vue d'en bas (au zoom) 

Cette fois c'est la crête nord qui a notre visite, bien moins impressionnante, peu escarpée et donnant sur des forêts denses. Je sais qu'un ancien chemin se cache là dessous, j'y ai souvent songé, il faudra que j'aille le visiter.

Crête nord (le vide est à gauche)


Nous revenons sur nos pas, à travers bois et forêt, dans une lumière verte née des mousses qui habillent rocs, troncs, branches, pour aller, près de la voiture, nous percher sur un autre belvédère ouvrant sur village de St Martin Lys; la brume ne lâche rien et je l'exhorte à haute voix à dégager le paysage. Alors pendant quelques secondes elle nous offre un peu de panorama mais je n'ai pas le temps de saisir St Martin en photo, trop fugace.


Notre retour se fait par d'autres pistes en passant par le Col de St Martin : le site m'est familier, je suis venue un jour ici, j'ai continué sur la piste mais sa monotonie m'invita au demi tour; je préfère les pistes en voiture, je les trouve ennuyeuses, eussent elles un beau panorama.


Quand je dis qu'il fait froid !!


Merci à vous trois pour cette invitation d'exception. De gauche à droite Renaud, Manuel et Eric

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Cette Pierrelys à laquelle j'ai consacré tant d'heures, d'énergie et de km (plus de 200 à pied) m'a offert un cadeau Divin, au pays du Diable et du Curé : une petite pierre, a attiré mon attention; différente des autres, lisse et terne, elle s'est révélée être cette merveille . 


Et la lumière fut!



Une pierre plutôt terne





















Calcite



Le secteur



Distance à pied : environ 5 km





samedi 29 mars 2025

Hérault : la grotte de l'Ours (Montagne Séranne) 3/3


 Episode 3 : la grotte de l'ours

Je ne savais pas grand chose, sinon que je ne l'avais pas trouvée et qu'elle était très difficile à trouver. Pourtant j'avais cherché. L'orifice en pleine falaise m'avait trompée, la grotte n'est pas lui.

La grotte de l'ours

Bien décidée à y mettre enfin le nez dessus et bien davantage, j'avais tenté une petite enquête. 

Saint Jean de Buèges, Hérault : le village est petit et les habitants rares. Le cimetière est très peuplé mais ici, point de langues déliées et pourtant ici, ils savent. Les rues sont désertes, l'église est le royaume du silence, seul le bar a des airs de forum. De plus les repas y sont excellents. Attablée devant une truite saumonée j'essaie de questionner quatre hommes. Deux savent mais ne veulent pas me parler. Quatre borborygmes et une indifférence plus tard, enveloppés d'impolitesse, je maugrée "vous ne voulez rien me dire ? Je me débrouillerai!". Ils s'en fichent, je n'existe pas. Ne fut ce la truite, je me serais barrée. Les ours ne sont pas dans la grotte, ils sont à table.

St Jean de Buèges - Hérault
















Je vais donc mettre d'autres moyens en batterie, je scrute la montagne, je prends des photos au zoom et je vais explorer internet, un peu plus bavard. Mais qui me serine "très difficile à trouver". Un ami FB m'envoie quelques documents mais je les ai déjà. Je réussis toutefois à localiser où je dois aller fureter et cette vire que j'ai empruntée est, à mon avis, la clé. 


Trajet approximatif

Dans ce dernier matin de mon séjour, je reprends le chemin du tout droit dans la montagne. C'est un vrai régal car cela ressemble à un matin de mai : air cristallin, résonnance des bruits, un motoculteur retourne de la terre, des oiseaux chantent, le paysage rayonne de lumière et de couleurs.


Mon pas est vif, je connais le chemin, le sous bois, la mare, la dalle, le roc du Midi qui me contemple et enfin les 200 m de pierrier. Qui n'est pas celui dit "de la mort". Je fais une rencontre incongrue : deux trous dans la roche du sol et un figuier campe à côté, nu mais orné de figues : il y a de l'eau. 

Une idée de la pente


Aujourd'hui je n'irai pas au bout du bout là haut
Ni au pic du Midi à droite (mes 2 précédentes randos)


Une cavité dans la roche

Et un figuier tout à côté en plein pierrier














De toute façon cette grotte n'est que la partie émergée  d'un immense réseau souterrain qui va jaillir tout en bas à la résurgence du Garrel. Et sans doute ailleurs aussi. C'est le fascinant mystère liquide du Karst.

Les altitudes filent sur mon GPS, j'ai le Diable aux trousses. La chanson du motoculteur monte jusqu'à moi, les bruits de la vie.

Et j'arrive sur le site, entre les falaises : là je vais mettre en batterie ma stratégie; j'ai analysé mes erreurs, trop de précipitation et d'impatience . Et bien je vais m'attacher au moindre détail. Un cairn discret, les griffures des bâtons de marche sur la roche, et mon instinct. Je sais qu'il y a des terrasses et qu'il faut monter et descendre. Maigre et précieux indice. Le site demeure muet et discret.

Secteur de la grotte de l'Ours: la falaise

Seule la vire a sa cohérence dans la roche et je l'emprunte. Je comprends de suite, j'avais voulu grimper sur la falaise et il faut poursuivre la vire qui suit son cours quelque peu hasardeux,  mais assez bref et dans un fouillis d'arbres elle est là, majestueuse ouverture ocrée, ma joie retentit! Pour les oiseaux et les falaises.

Et le chaos rocheux après la vire
On y trouve son chemin !


La vire













Telle qu'elle apparaît, bien cachée

Et quand on entre....quelle perfection...

Je pose mes affaires à l'entrée, je visite cette entrée à la forme parfaite et, munie du minimum vital : téléphone, frontale et lampe supplémentaire, je m'enfonce dans le temple de l'ombre, du silence épais et de l'obscurité. Des draperies, des couleurs, des rivières de calcaire, des débris au sol, sol très argileux et glissant, des gouttes d'eau qui rompent le silence, enfin le classique d'une grotte. Mais quand on est toute seule, le classique revêt une parure d'exception. Mes pas sont feutrés comme si je devais déranger la roche et les coulées figées.















C'est sépulcral .

 Dans le faisceau lumineux puisque toute lumière diurne a disparu, un étroit et bas tunnel s'élance dans l'obscurité. Sans hésiter, me fiant aux traces de pas, je m'allonge sur le côté, pieds en avant et je rampe vers....sous terre où on perd notion de distance, de temps, de tout. Je n'ai pas peur, juste un pincement au coeur. 



Et je débouche dans une autre grande salle où tout est également statufié. J'empoigne les solides stalagmites qui me servent à ne pas glisser, je crois que j'oublie de respirer pour respecter le silence. Mais quel silence ! Il est impressionnant car à nul autre pareil est le silence sous terre. Je ne suis pas sous terre, je suis dans une falaise. Il y a ce grand mystère au plafond, dans les puits, dans des orifices, dans des failles, dans d'étroits tunnels, il y a ce mystère de labyrinthes et d'eaux . Le mystère sans fond de ce puits qui s'enfonce sous terre, et où ne va pas l'amateur que je suis et qui me fait frissonner, un antre étroit et noir..... C'est curieux mais, au retour, ce tunnel où je dois ramper me stresse, et quand enfin se dessine, se devine une ténue lumière orangée, c'est quand même rassurant. 



Bien sûr la grotte a SA légende ou ses légendes. Un jeune garçon serait allé délivrer sa mère emportée et cachée par un ours dit l'une d'elles...










La sortie s'annonce

La fascination cesse, la sécurité me happe, mais cette aventure solitaire m'a profondément marquée, j'ai du mal à m'arracher, à quitter cet antre de silence. Le motoculteur continue sa chanson, les oiseaux m'accueillent, les bruits d'en bas me rejoignent, c'est fini. Une asperge sauvage, à l'entrée, est dubitative et lance une interrogation qu'on peut interpréter à l'envi!


Fini ? Je reviens sur mes pas, traverse un arbre, emprunte la vire et pars en visite. Mon instinct me porte plus bas , un cairn m'invite et au terme de quelques acrobaties je la vois ! Une autre entrée, basse, triangulaire Cette fois; je m'introduis et découvre, outre quelques draperies, un immense puits insondable. Un aven. Il est surtout important de ne pas y glisser ! Ma lampe ne parvient qu'à esquisser le vide. 

Vue depuis l'intérieur

L'entrée de l'aven


Voilà : un pas en avant et on disparaît à jamais...un gouffre...

Je bats en retraite, j'ai besoin de lumière, je retrouve le pierrier avec joie, le sentier sous bois et la mare d'eau glacée où je noie mon pied droit . En dégustant un solide en cas.

La mare, petite résurgence sans doute

Peu après, je décide de ne plus suivre le sentier mais une sente ténue, qui part à l'horizontale. Elle a une histoire, cette sente, car des murets se devinent. Les falaises sont proches, je vois briller leur blancheur, cependant le fouillis végétal les rend imprenables. Soudain, sur ma gauche, une sorte de pierre tombale bizarrement ocrée m'attire, je la rejoins et j'entre dans le domaine de la stupéfaction : un four à chaux est à mes pieds, semi enterré, je ne vois pas son entrée, mais sa position est originale . Un grand fleuve de roche figée, en forte pente de lapiaz profondément crevassé, descend, immobile, au gré de cascades , jusqu'au four à chaux où la cascade a été profondément entaillée, dépecée; il ne reste que des débris, le reste est passé à la cuisson. L'intérieur du four a cette couleur ocre typique . S'ils avaient voulu faire cuire tout le fleuve, ils y seraient encore pour des siècles ! 

Le fleuve de roche : roc du Midi en haut


Crevasses du lapiaz
en gros plan


Vers l'aval, tout au bout du fleuve se trouve le four


Au final, le fleuve a été exploité

Le final, exploité


Le four



                                                                                      
Détails du mur et des vestiges de cuisson



Le four voisine avec d'autres cuissons bien noires, les charbonnières et, continuant mon périple à travers oliviers abandonnés, je parviens à la route en longeant une ruine un peu étrange; il s'agirait d'une ancienne tour communicant par signaux avec le château. 

Oliveraie un peu abandonnée

Décidément, ce petit village que j'aime tant, s'il a une telle âme c'est parce qu'elle est riche de toutes les âmes de ce passé qui rôdent au dessus des taillis et s'enroule au flanc de la Séranne. Je n'ai plus qu'à reprendre la route, je suis riche de ces instants.

(Fin des épisodes.)

A bientôt pour d'autres aventures !

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Pour rappel : 1 er épisode (clic)

                      2 eme épisode (clic)

Le trajet : 


Trajet approximatif


En chiffres

Distance : 4.2 km
Temps de marche : 2 h 27 (visite de la grotte, 1 h)